STYLE 1925

STYLE 1925
STYLE 1925

Le «style 1925» tire son nom de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes organisée à Paris en 1925. En France, il est souvent confondu avec ce qu’on appelle l’«Art déco», précisément en souvenir de cette exposition, où la tendance traditionnelle, décorative, était la mieux représentée. Mais le style 1925 est aussi le mouvement moderne, tourné vers l’industrie, qui s’oppose à l’Art déco.

Si l’expression lo stile 1925 est adoptée en Italie, d’autres pays l’assimilent à une décennie: les années vingt , the nineteen twenties , die zwanziger Jahre . Aucune de ces expressions n’est vraiment satisfaisante. En effet, l’Exposition des arts décoratifs, qui, dans l’esprit des contemporains, devait témoigner de la vitalité de la création après l’Exposition universelle de 1900, qu’ils considéraient comme un échec, était décidée bien avant la Première Guerre mondiale. Programmée dès 1915, ajournée à plusieurs reprises, elle ouvre finalement en avril 1925. La date est flatteuse, au milieu des années 1920. En réalité, l’exposition réunit tout cet art décoratif né en réaction contre 1900, qui se développe sans transition après la guerre et rend son dernier souffle dans la grande parade: c’est l’Art déco. Elle fait une très faible place au mouvement qui, venant d’Écosse, d’Autriche, d’Allemagne, de Belgique, de Chicago, aboutit au Stijl, au Bauhaus, au constructivisme, à l’Esprit nouveau.

«1909 est une année charnière, une année durant laquelle la Belle Époque est devenue notre grande époque», disait Georges Lepape. Mais en 1909, Paris découvre aussi les Ballets russes de Serge de Diaghilev et le manifeste du futurisme, dont l’auteur est le poète italien Marinetti, Picasso peint les paysages cubistes de Horta de Ebro, Braque le paysage de La Roche-Guyon: les bases du style 1925 sont en place. En 1930, le Salon des artistes décorateurs à Paris expose avec succès les artistes du Bauhaus de Weimar. La même année, l’Union des artistes modernes (U.A.M.), qui groupe «quelques artistes et artisans désireux de doter l’homme du XXe siècle d’un cadre raisonnable», organise sa première exposition au musée des Arts décoratifs. Le temps de vie du style 1925 s’écoule à peu de chose près entre ces deux dates: 1909 et 1930.

Aujourd’hui le style 1925 est confondu avec la mode «rétro», qui s’attache au meilleur et au pire de l’entre-deux-guerres. Le style 1925 avait auparavant subi l’inévitable rejet, favorisé par l’évolution politique et sociale des années trente, qui aboutit au grand conflit de 1939. À l’engouement suscité par la découverte de l’Art nouveau succède l’emballement pour 1925 : à Paris, sous l’impulsion de deux expositions Paris 09-29 au musée Galliera en 1957, Les Années «25» au musée des Arts décoratifs en 1966. En 1966 paraît le premier livre, qui aujourd’hui encore est le meilleur, sur cette époque: Stile 1925 , par Giulia Veronesi. L’auteur, une journaliste et historienne d’art de Milan, a vécu la période dont elle parle. Elle en connaît les dessous, mais l’analyse avec rigueur. Si elle s’amuse des folies décoratives du Paris des années 1920, ses sympathies vont vers ceux qui proposent un art correspondant aux temps nouveaux. Elle rejoint en cela la thèse de François Mathey, qui concevait l’exposition du musée des Arts décoratifs en même temps qu’elle écrivait son livre. Expositions, livres, articles se multiplient après 1966. Ils suscitent un nouveau regard sur un environnement que l’on avait parfois conservé non sans honte, favorisent la redécouverte d’objets et de meubles relégués, et les sauvent de la destruction mieux qu’on ne le fit pour ceux de l’époque 1900.

L’Exposition des arts décoratifs

C’est la première fois qu’une manifestation consacrée à l’art décoratif a lieu en France. Le XIXe siècle avait organisé des confrontations internationales des «produits de l’industrie», destinées à stimuler la création et à informer la société nouvelle née du développement industriel. L’art y était associé, ainsi que les «beaux-arts appliqués à l’industrie», qui reflètent la crainte des artistes d’être dépassés par la formidable énergie que représente l’industrie. La découverte du Japon à l’Exposition universelle de 1867 à Paris contribue aussi à modifier l’attitude des artistes devant les arts décoratifs considérés comme mineurs. Ils découvrent le sens sacré de l’objet, deviennent à leur tour potiers, verriers, orfèvres, tisserands. L’art décoratif est une mode, et l’Art nouveau lui propose une esthétique.

Les grandes expositions de la fin du XIXe siècle consacrent cette évolution. L’Exposition universelle de 1900 à Paris marque à la fois le triomphe de l’Art nouveau et son déclin au niveau de la production courante. Les industriels et les antiquaires profitent de la déception générale pour imposer l’ancien, vrai ou faux, aux amateurs. Quant aux jeunes décorateurs, ils se détournent de l’Art nouveau de leurs pères, rejettent sur l’individualisme, qui fait sa diversité et son originalité, la responsabilité de son «éparpillement» et par là de son «échec». Ils créent en 1901 la Société des artistes décorateurs et organisent chaque année une exposition. Dès 1906, ils lancent l’idée d’une manifestation internationale qui redonnerait à Paris son rôle de leader, ravi par l’Italie. Des expositions d’art décoratif ont en effet été organisées à Turin et à Milan, en 1902 et en 1906. C’est dire l’intérêt que l’Europe porte au cadre de vie. Chaque pays cherche à stimuler sa production en utilisant le jeu de la concurrence, chaque génération à imposer sa marque au style de son temps.

Vingt et un pays participent à l’exposition de 1925. L’Australie, les deux Amériques, l’Allemagne ne font pas partie de la compétition. L’exposition est le triomphe ultime de l’Art déco, mais avec deux pavillons, celui de l’Esprit nouveau de Le Corbusier et Ozenfant et le pavillon de l’U.R.S.S. de Melnikov, elle entre dans le courant international déterminé par une véritable mystique de la technologie.

À peine dégagée de ses palissades, l’Exposition des arts décoratifs suscite les polémiques. C’est autour de l’adjectif «décoratif» que s’engage le débat. «La foi en l’art décoratif fausse l’esprit de toute l’exposition» (Waldemar George, in L’Amour de l’art , 1925). «L’art décoratif est à supprimer [...]. Là où il y a de l’art véritable, il n’est pas besoin de décoration» (Auguste Perret, ibid. ). «L’art décoratif c’est de l’outillage, du bel outillage», déclare l’architecte Le Corbusier qui avait annoncé l’exposition par une série d’articles publiés en 1924 dans la revue L’Esprit nouveau . Le XXe siècle s’affirme dans ces prises de position en contradiction avec l’esprit du XIXe siècle. Le monde industriel est un fait, accepté par ceux qui parient pour une nouvelle société. Ils sont en minorité à l’exposition de 1925 dominée par le Nouveau Style, l’Art déco, imaginé par des décorateurs qui, soucieux de se démarquer de 1900, se réclament de la tradition française et s’adressent à une clientèle dont le cadre de vie n’a pas évolué.

Ainsi, 1925 est le point de rencontre de deux arts de vivre: l’un préoccupé de préserver un présent incertain en substituant les Années folles à la Belle Époque, l’autre tourné vers l’avenir en tenant compte des réalités sociales, économiques, technologiques.

Les sources du style 1925

La poussée de l’industrie

Bilan des recherches du premier quart du XXe siècle, l’exposition de 1925 met en lumière les contradictions du monde industriel, qui remontent à l’apparition de l’industrie. Localisée autour des villes, celle-ci fait appel à une main-d’œuvre neuve qui exige des habitats, un ameublement, des objets: pour cette classe nouvelle, il faut produire vite et à bon marché. Prise de court, incapable d’inventer, l’industrie copie, et reproduit mal. L’exposition de Londres en 1851 avait sensibilisé les créateurs anglais à la nécessité de réagir. Certains, avec William Morris, choisissent de vaincre la médiocrité de la production industrielle en réhabilitant le travail manuel. D’autres, avec les Arts and Crafts, fondent leur action sur la collaboration avec l’industrie.

L’Angleterre ouvrait la voie à un mouvement qui va bien au-delà de l’Art nouveau. Elle inspire le programme du Deutscher Werkbund, association d’artistes et d’industriels créée en 1907 sous l’impulsion de l’architecte Muthesius. «Soucieux de dignifier le labeur industriel en assurant l’action concertée de l’art, de l’industrie et de l’artisanat, par un effort d’éducation, de propagande et par l’affirmation d’une volonté commune», le Werkbund est à l’origine d’un courant d’idées qui nourrit le XXe siècle. À travers l’enseignement du Bauhaus, les programmes de l’Esprit nouveau et de l’Union des artistes modernes (U.A.M.), il aboutit au design des années soixante.

Les précurseurs

Dès la fin du XIXe siècle, les pays anglo-saxons sont à l’origine d’un courant puriste. Il est l’œuvre d’architectes: Charles Rennie Mackintosh (1868-1928), Josef Hoffmann (1870-1956) à Vienne. Les réalisations des Wiener Werkstätte, ateliers d’art fondés en 1903 par Hoffmann, sont de l’art 1925 avant la lettre.

À Vienne, l’architecte Adolf Loos (1870-1933) engage la bataille contre l’ornement; il s’est formé chez Louis Sullivan (1856-1924), le maître de l’école de Chicago. L’Exposition universelle organisée à Chicago en 1893 est l’occasion pour les Européens de découvrir les premiers gratte-ciel à structure métallique. Au début du XXe siècle, un autre architecte de Chicago, Frank Lloyd Wright (1867-1959), construit sa première maison de la Prairie inspirée de l’architecture domestique anglaise de la seconde moitié du XIXe siècle et de l’art japonais. Wright est partisan d’un ameublement intégré à l’architecture; ses meubles indépendants, sièges, tables, sont conçus à partir de structures linéaires, de manière à pouvoir être fabriqués industriellement. La volonté de laisser paraître la structure du meuble et le processus de fabrication est défendue en Belgique par Henry van de Velde (1863-1957) dès 1895. Ce parti, systématisé par le Hollandais Rietveld (1888-1964) dans le siège «rouge-bleu» de 1918, aboutit au mobilier métallique des années 1920: en Allemagne dans le cadre du Bauhaus, avec les sièges de Marcel Breuer, Mart Stam et Mies van der Rohe, réalisés entre 1925 et 1929, en France dans le mobilier dessiné en 1928 par Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand, et dans les réalisations des architectes de l’U.A.M.: Pierre Chareau (1883-1950), Robert Mallet-Stevens (1886-1945), Eileen Gray (1879-1976), René Herbst (1891-1982).

Les sources esthétiques

Le début du XXe siècle voit naître deux courants qui contribuent à libérer l’art des formes traditionnelles et à modifier l’expression plastique du monde: le fauvisme et le cubisme. Leur apparition en France à deux ans d’intervalle – 1905 et 1907 – témoigne du ferment qui affecte l’ensemble de l’Europe. Chaque nation traduit son attitude nouvelle dans un mouvement qui se réclame de l’une ou de l’autre tendance.

Fondé sur la couleur pure, la construction de l’espace par la couleur, sans modelé ni clair-obscur, le fauvisme apporte une gamme nouvelle, éclatante, en contradiction avec les couleurs pâles de l’Art nouveau. Les décorateurs s’emparent de cette palette lumineuse. Ils l’enrichissent de l’apport des peintres expressionnistes allemands, qui exposent dans les mêmes salons que les fauves, et de la couleur «barbare», somptueuse, des décors de Bakst, de Benois, de Korovine pour les Ballets russes de Diaghilev.

Vision analytique et objective de la forme, le cubisme propose une nouvelle conception de l’espace qui influence profondément l’architecture. Il lui apporte une simplification des volumes, une organisation claire, renforcées par les leçons du purisme de Le Corbusier et Ozenfant en France, du néo-plasticisme de Piet Mondrian (1872-1944) en Hollande, du constructivisme et du suprématisme russes. Le pavillon de l’U.R.S.S. à l’exposition de 1925 est la démonstration d’une technologie simple et savante au service de l’ascèse formelle. D’une manière plus générale, le cubisme modifie profondément formes et décors de l’ameublement et des objets: les traditionalistes géométrisent leurs ornements, les modernes retiennent ses formes dépouillées.

La publication du manifeste du futurisme 1909 dans Le Figaro est un événement: «Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive [...] est plus belle que la Victoire de Samothrace...». Le futurisme s’attaque, sur un ton agressif, à l’écriture, à la littérature, aux arts plastiques. Antonio de Sant’Elia, auteur du manifeste de l’architecture, imagine «la ville futuriste à l’image d’un chantier immense tourbillonnant, vif, mobile, dynamique en tous points, et la maison futuriste à l’image d’une gigantesque machine». En 1914, le langage est neuf, choquant. Il annonce la formule de Le Corbusier: «Une maison est une machine à habiter.» Le futurisme apporte aux artistes des années vingt la notion de la vitesse, le goût de la machine qui l’engendre – automobile, avion. Le mouvement est entré dans le monde des images avec le cinéma. L’affiche des années vingt évolue dans ce monde qui privilégie les moyens de communication, l’industrie, les spectacles.

Dernière composante du style 1925: l’art nègre, qui entre dans les ateliers et les salons des collectionneurs autour de 1905. Après la guerre de 1914-1918, il devient une mode à travers le jazz et la Revue nègre qui en 1925 révèle le talent de l’affichiste Paul Colin. Amateur d’art nègre, Jacques Doucet introduit dans son studio de Neuilly des meubles de Pierre Legrain qui, non content de s’inspirer des formes et des motifs africains, copie purement et simplement les tabourets de cérémonie.

Panorama du style 1925

Autriche, Allemagne, Hollande

Sauf exception, le style 1925 est œuvre d’équipe. Le ton est donné dès le début du siècle à Vienne dans les ateliers d’art – les Wiener Werkstätte – et à Munich dans l’association du Deutscher Werkbund – le lien pour l’œuvre. Le Bauhaus, fondé en 1919 par Walter Gropius (1883-1969), apporte un élément nouveau dans la mesure où il défend «le métier» et refuse «la différence de nature entre l’artiste et l’artisan». Fondées sur le respect et la connaissance du matériau, en fonction de l’utilisation de l’objet, les formes issues des ateliers du Bauhaus sont géométriques et sans décor superflu. Le choix des couleurs procède d’études théoriques fondamentales. L’activité du Bauhaus s’étend jusqu’à sa fermeture en 1933. La France de l’Art déco l’a ignoré; ses réalisations sont absentes de l’exposition de 1925.

En Hollande, le mouvement moderne s’organise autour du groupe d’architectes, de peintres et de sculpteurs qui s’exprime à travers la revue De Stijl , fondée en 1917 par Theo van Doesburg (1883-1931). Ils sont unis dans la recherche d’une synthèse des arts à partir de la doctrine de la plastique pure, le néo-plasticisme. Leur activité déborde le cadre de la Hollande. Van Doesburg participe en 1923 à l’aménagement intérieur de la villa Noailles à Hyères, construite par Robert Mallet-Stevens. Il réalise avec Jean Arp et Sophie Taeuber le cabaret de l’Aubette à Strasbourg, aujourd’hui détruit.

Italie

La vision apportée par le futurisme bouleverse l’Italie, figée dans un nationalisme étroit et rétrograde. Elle alimente en même temps cette exaltation du patriotisme qui tourne au fascisme. L’architecture, l’art décoratif se fraient difficilement un chemin dans ce pays coupé en deux: entre une société rétrograde qui rêve de l’Antiquité romaine et un monde jeune, moderne, tourné vers l’Europe. Des architectes proposent une architecture «moderniste» mais néo-classique. L’un d’eux, Giuseppe Terragni (1904-1942), quitte le Novecento italiano pour fonder en 1927 le Gruppo 7, qui préconise une architecture fonctionnelle dans la tradition nationale. Les arts décoratifs bénéficient de la biennale de Monza, qui devient triennale et s’installe à Milan en 1933. Le régionalisme, resté fort dans le pays, confère à la production artistique et artisanale un caractère folklorique. Quelques artistes et ateliers y échappent: des affichistes – Enrico Saccheti et Sepo Nizzoli –, des verriers – Venini et Cappelin à Murano. La manufacture de céramique Richard-Ginori demande des modèles à l’architecte Gio Ponti (1891-1979), qui crée en 1928 Domus : première revue au monde qui apporte une information égale sur l’architecture, l’art et les arts décoratifs.

Pays scandinaves

La participation des pays scandinaves au style 1925 est centrée sur la verrerie, la céramique et le métal. En Suède, la verrerie d’Orrefors développe simultanément la fabrication en série de verres à bon marché et la création d’exemplaires uniques d’objets en cristal taillé et gravé. Au Danemark, la Manufacture royale de porcelaine de Copenhague ainsi que la manufacture Bing et Gröndahl diversifient leurs techniques. Des décors de style 1925 sont adoptés sur les pièces de porcelaine. Mais c’est le métal qui révèle les artistes les plus créatifs: Christian Fjerdingstadt, qui donne des modèles à Christofle à Paris, et surtout George Jensen. Il expose en France à partir de 1913. Au style traditionnel des années qui précèdent la guerre succède une période influencée par le cubisme et le courant international des années 1920.

Angleterre, États-Unis

Une fois disparue la génération des géants de l’Art nouveau, Beardsley, Mackmurdo, Mackintosh, l’Angleterre se lance dans l’art industriel, avec le soutien de l’Architectural Review et du Studio . Elle échappe à la folie du luxe et à la gratuité décorative qui caractérisent une partie de l’art français. Le décorateur George Sheringham est le plus européen du courant anglais qui favorise les couleurs sombres, propose des décors dans le goût chinois et le goût égyptien (lord Carnarvon découvre en 1922 la tombe de Tout Ankh Amon). Aux États-Unis, les leçons de l’école de Chicago sont oubliées au profit d’une débauche ornementale aux sources variées: le Moyen Âge, l’Orient et surtout ce qui vient de Paris.

U.R.S.S.

Les théories constructivistes de Gabo, de Pevsner, d’El Lissitski inspirent aux architectes russes des années 1920 «une véritable mystique de la technologie». Dans le pavillon de l’U.R.S.S. à l’exposition de 1925, réalisé par Melnikov dans cet esprit, les objets sont en majorité folkloriques. Font exception la vaisselle, dessinée par Suétine et Malevitch, le Club ouvrier – au Grand Palais – conçu par Rodtchenko et la présentation du Vhutemas, institut créé en 1920 et dont les buts s’apparentent à ceux du Bauhaus.

France

Consacré à l’occasion de l’exposition de 1925, le mouvement traditionaliste recrute ses adeptes parmi les jeunes décorateurs qui rejettent violemment le style 1900. Au salon de 1912, le peintre André Mare présente avec un groupe d’amis peintres – Marie Laurencin, La Fresnaye, Jacques Villon, Desvallières – la Maison cubiste, qui n’a guère de cubiste que le nom. Derrière la façade conçue par Raymond Duchamp-Villon, l’aménagement est bourgeois, traditionnel. L’écrivain André Véra définit dans un article publié en 1912 par la revue L’Art décoratif les buts du groupe. Le Nouveau Style rejette tout ce qui rappelle la génération précédente: la «sensibilité», l’«impressionnisme» de l’écriture, le goût de l’exotisme et surtout l’internationalisme. Menacés, semble-t-il, par la poussée étrangère, et surtout allemande à la suite de l’exposition du Deutscher Werkbund au Salon d’automne de 1910, les amis d’André Mare défendent la tradition nationale et se soumettent à la «discipline française». «Aussi pour les objets mobiliers [...] continuerons-nous la tradition française, faisant en sorte que ce style nouveau soit la suite du dernier style traditionnel que nous ayons, c’est-à-dire du style Louis-Philippe.» S’inspirant de la vie provinciale française «... le décorateur empruntera le thème de ses variations à la nature, dont il groupera en une guirlande les fleurs et les fruits.»

Ce groupe se disperse avec la guerre, puis se retrouve à l’intérieur de la Compagnie des arts français que Mare anime avec l’architecte Louis Süe. La guirlande de fleurs et de fruits est l’un de leurs thèmes favoris comme il est celui de la plupart des artistes «traditionalistes»: Follot, Groult, Leleu, Ruhlmann. Il devient la marque du style 1925 avec la rose cubiste de Paul Iribe et les jets d’eau de l’exposition de 1925. La tendance des artistes à se réunir, à préférer la démarche collective à l’œuvre individuelle est caractéristique du style 1925. Les grands magasins ouvrent des ateliers, répondant aux besoins diversifiés de la clientèle: la Maîtrise aux Galeries Lafayette, Pomone au Bon Marché, Primavera au Printemps, le Studium au Louvre. Paul Follot et Maurice Dufrène, qui dirigent respectivement la Maîtrise et Pomone, ont été formés au début du XXe siècle aux méthodes de production en série d’objets de la vie quotidienne dans les ateliers de la Maison moderne, ouverte rue de la Paix en 1899 par Julius Meier-Graefe. À travers eux se prolonge en plein XXe siècle l’expérience réalisée à New York par Louis-Comfort Tiffany en 1879, et reprise à Paris par Samuel Bing en 1895.

Les artistes, les artisans qui se réclament de la tradition française s’adressent à une clientèle riche et cultivée, vivant dans des appartements hérités du XIXe siècle. Ils inventent des meubles de luxe, utilisent des bois exotiques aux colorations chaudes, sculptés, incrustés de nacre, d’écaille, de métaux, ou bien le galuchat et la laque. Les meubles de Paul Iribe, d’André Groult et surtout de Jacques-Émile Ruhlmann sont dignes de la grande tradition française du XVIIIe siècle. À la tradition classique se rattachent les créations d’Armand Rateau, qui aménage l’hôtel de Jeanne Lanvin.

Dans cet univers, l’objet est roi. Céramistes, verriers, orfèvres vivent une époque privilégiée: aussi bien ceux qui travaillent selon des méthodes semi-industrielles – Haviland à Limoges, Daum, Lalique, Christofle, les manufactures de Sèvres et de Baccarat – que ceux qui travaillent en solitaires, artisanalement: Deœur, Cazaux, Lenoble, Lachenal, Marcel Goupy, Décorchemont, Marinot, Linossier...

Le couturier Paul Poiret occupe une place originale dans l’art décoratif: dès 1905 il impose à la femme une allure nouvelle en supprimant le corset, invente une mode souple et colorée. En 1911, à la suite de voyages en Autriche et en Allemagne, il fonde l’école Martine et la maison du même nom qui vend des tissus, des tapis, des papiers peints dessinés par les fillettes de l’école. Le style est différent de tout ce que l’on voit alors: les grands décors de fleurs, les meubles cubiques peints et les sièges envahis de coussins choquent la société de l’époque. Ainsi meublées, garnies de tapis épais aux couleurs gaies, les péniches amarrées sur les quais de la Seine à l’occasion de l’exposition de 1925 annoncent le style italien des années soixante.

Destinée à favoriser l’art moderne et à privilégier son aspect social, l’exposition de 1925 fait en réalité une place modeste à ceux qui remplissent le programme: soit en créant des meubles et des objets inspirés des mouvements contemporains – le cubisme et la vogue de l’art nègre en particulier –, soit en imaginant un environnement totalement nouveau conforme à l’évolution sociale et technologique.

C’est pourtant le cas du couturier Jacques Doucet, collectionneur d’art chinois, d’art nègre et de peinture cubiste et surréaliste, qui donne l’occasion à Pierre Legrain de créer un ameublement alliant une géométrie un peu sévère à des matières rares. Il fait aussi appel à des sculpteurs, Joseph Csáky, Gustave Miklós, et à Eileen Gray, Irlandaise installée en France depuis 1902 qui rêve de «faire des choses de notre temps». Elle dessine des meubles destinés à être fabriqués en série. Elle partage avec Jean Dunand le goût pour le métier du laque, dont le dinandier enrichit la patine de ses vases et qui sert à réaliser des paravents et des meubles rigoureusement géométriques.

Quant à Francis Jourdain, il se préoccupe, à la suite de Frank Lloyd Wright, d’intégrer l’ameublement à l’architecture intérieure: son but est de produire des meubles et des ensembles simples, à bon marché, destinés à la clientèle populaire. Fondateur avec René Herbst de l’Union des artistes modernes, ils réunissent des artistes qui partagent leur souci d’apporter à l’homme du XXe siècle un cadre correspondant aux exigences matérielles et intellectuelles du temps. Parmi eux, les architectes Pierre Charreau et Robert Mallet-Stevens, les joailliers Raymond Templier et Jean Fouquet, les orfèvres Jean Puiforcat et Jean Desprès, le peintre Sonia Delaunay, et Charlotte Perriand qui participe en 1928-1929 à la mise au point d’un programme d’équipement édité par Thonet, avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret.

Au mot «mobilier», qui représente «des traditions accumulées et des usages périmés», Le Corbusier substitue en effet le terme d’ «équipement», dont il donne une première démonstration dans l’installation du pavillon de l’Esprit nouveau à l’exposition de 1925. Les meubles sont remplacés par des casiers standard, en métal, appuyés ou incorporés au mur. Seuls demeurent les sièges et les tables. Les trois sièges en tube d’acier présentés au Salon d’automne de 1929 répondent aux différents types de position assise; leur étude est d’ordre fonctionnel et non point d’ordre décoratif. Ils figurent parmi les classiques du mobilier avec les sièges de Breuer et de Mies van der Rohe.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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